Entente entre distributeurs de produits chimiques - AC Décision 13D12 du 29 mai 2013
L'autorité de la concurrence a rendu publique le 29 mai 2013, en matière d'entente, concernant des distributeurs de produits chimiques, la décision 13-D-12 du 28 mai 2013, (relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques), suivante :
« Article 1er : Il est établi que les sociétés Brenntag SA, Caldic Est SASU, Solvadis France et Univar SAS, en tant qu’auteurs des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, GEA Group Aktiengesellschaft, Solvadis Gmbh, Solvadis Holding SARL, Univar NV, Univar Europe Holdings BV, Univar France BV et Univar France SNC, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ainsi que celles de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en mettant en oeuvre une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires.
Article 2 : Il est établi que les sociétés Brenntag SA et Chemco France SARL, en tant qu’auteurs des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce en mettant en oeuvre une entente anticoncurrentielle consistant en une répartition des livraisons et en une fixation de prix.
Article 3 : Les sociétés Deutsche Bahn AG et E.ON AG sont mises hors de cause au titre des griefs visés à l’article 1er et à l’article 2.
Article 4 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l’article 1er, les sanctions pécuniaires suivantes :
de 47 802 789 euros à la société Brenntag SA, conjointement et solidairement avec DB Mobility Logistics AG ;
de 5 311 422 euros à la société DB Mobility Logistics AG ;
de 1 335 036 euros à la société Caldic Est SASU ;
de 9 405 279 euros à la société GEA Group AG ;
de 15 180 461 euros à la société Univar SAS.
Article 5 : La société Solvadis France et ses sociétés mères sont exonérées de sanction pécuniaire au titre des pratiques visées à l’article 1er, par application du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce.
Article 6 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l’article 2, les sanctions pécuniaires suivantes :
de 10 000 euros à la société Chemco France SARL ;
de 50 916 euros à la société DB Mobility Logistics AG.
Article 7 : La société Brenntag SA est exonérée de sanction pécuniaire au titre de la pratique visée à l’article 2, par application du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce.
Article 8 : Les personnes morales visées à l’article 1er et à l’article 2 feront publier à frais partagés le texte figurant au paragraphe 1139 de la présente décision dans les journaux « Les Echos » et « L’Usine nouvelle », en respectant la mise en forme. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : « Décision de l’Autorité de la concurrence n° 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques ». Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l’objet de recours devant la cour d’appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès leur parution et au plus tard le 29 juillet 2013.»
Le public devrait donc lire dans « Les Echos » et « L’Usine nouvelle » le texte suivant :
« Obligation de publication imposée par l’Autorité de la concurrence
Le 29 Mai 2013, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision par laquelle elle sanctionne à hauteur de 79 millions d’euros une entente entre Brenntag, Caldic Est, Univar et Solvadis. Cette entente a consisté, pour ces distributeurs de produits chimiques, à se répartir artificiellement les clients et à coordonner les prix. Les pratiques en cause, constatées en Bourgogne, Rhône-Alpes, dans le Nord et l’Ouest de la France, relevaient cependant d’une seule et même stratégie anticoncurrentielle globale. Elles ont été mises en oeuvre par les principaux distributeurs de commodités chimiques en France, représentant à la fin des pratiques jusqu’à 80 % des ventes. De très nombreuses entreprises (industriels, PME) actives en aval de la chaîne de valeur ont été victimes de ces pratiques : à l’exception de l’Île-de-France et du Sud-Ouest, c’est la majorité des bassins industriels français qui ont été touchés.
Une affaire révélée grâce à la clémence
L’Autorité de la concurrence (à l'époque le Conseil de la concurrence) a été informée de l’existence de cette entente par la société Solvadis, qui a sollicité le bénéfice de la procédure de clémence. Les groupes Brenntag et Univar ont ensuite déposé successivement des demandes de clémence.
La procédure de clémence permet, sous certaines conditions, à la première entreprise qui révèle à l’Autorité de la concurrence une entente à laquelle elle a participé d’obtenir une exonération totale de sanction pécuniaire. Les entreprises qui demandent ensuite à en bénéficier peuvent pour leur part obtenir une exonération partielle de sanction en fonction notamment de leur rang d'arrivée à l'Autorité, de la valeur ajoutée des informations transmises ainsi que de leur pleine coopération pendant la procédure.
Le secteur de la distribution des commodités chimiques
La décision prononcée par l’Autorité de la concurrence concerne le secteur de la distribution des commodités chimiques.
Les commodités chimiques, produites par les grands groupes de chimie (Exxon, Shell, BP, Solvay, Rhodia, BASF ) sont les matières premières de base issues principalement de la chimie minérale et de la pétrochimie telles que les solvants, les alcools, les acides, les éthers, la javel, la soude. Elles sont utilisées dans de très nombreux secteurs : industrie chimique, agro-alimentaire, automobile, blanchisseries hospitalières et privées, traitement des eaux, armement, industrie du béton, industrie de la désinfection et du nettoyage, fabrication de peinture, industries mécanique et aéronautique, industrie textile, etc . Les commodités sont vendues soit directement par les producteurs, pour les grands volumes, ou commercialisées par des intermédiaires, comme les distributeurs, pour les petits volumes. Les pratiques en cause concernent les distributeurs.
Coordination sur les prix et partage des clients
L’infraction a été mise en place entre 1998 et mi-2005 dans les quatre zones géographiques où les sites de stockage des distributeurs de commodités concernés généraient les résultats les plus faibles : Bourgogne, Rhône-Alpes, Ouest et Nord.
Les représentants des sociétés Solvadis, Brenntag et Univar et Caldic, présents selon les zones, se réunissaient secrètement et de façon régulière dans des hôtels ou des restaurants ou échangeaient par téléphone, parfois sur des lignes dédiées afin d’éviter toute trace de ces communications, pour se répartir la clientèle et se coordonner sur les prix.
La répartition de clientèle
Les clients étaient distingués selon qu’ils mettaient ou non régulièrement en concurrence les distributeurs. Les premiers faisaient l’objet d’une répartition organisée sous forme de « tours » visant à allouer alternativement les clients entre les participants aux ententes. Ce système reposait sur des offres de couverture présentant comme mieux-disante la proposition d’un distributeur qui était en réalité pré-désigné secrètement par les membres de l’entente comme devant emporter le marché. La seconde catégorie de clientèle, moins sensible aux prix et plus fidèle aux distributeurs, faisait l’objet d’un pacte de non agression selon lequel chaque distributeur s’abstenait de démarcher activement ces clients. Cela se traduisait par un gel des portefeuilles de clients de chacun.
La coordination tarifaire
Les prix proposés aux clients des distributeurs étaient également arrêtés en commun. Les documents ou déclarations des parties font état de « tarif cartel » ou « tarifs communs ».
La mise en place d’une surveillance
La mise en oeuvre de l’entente était surveillée de près, afin de s’assurer qu’aucun participant ne dérogeait aux règles définies. Des vérifications auprès des clients pouvaient être réalisées ainsi que des rappels aux règles du mode de fonctionnement de l’entente.
Une collusion de grande ampleur qui a impliqué les principaux distributeurs de commodités chimiques et impacté la quasi-totalité de leurs clients approvisionnés par les sites de stockage en cause, notamment des PME
Les nombreux éléments de preuve et déclarations émanant des participants à l’infraction ont permis d’établir l’existence de l’entente dans au moins 4 zones géographiques couvrant une très grande partie du territoire français (36 départements). A l’exception de l’Île-de-France et du Sud-Ouest, c’est la grande majorité des grands bassins industriels français qui ont été touchés par les pratiques. De grands groupes industriels (Thomson, Seb, Saint-Gobain ) mais aussi de nombreuses PME françaises, comme des blanchisseries, ainsi que des établissements publics hospitaliers (CHU de Dijon, par exemple) ont ainsi été victimes de l’entente en étant contraintes de payer plus cher leur approvisionnement en matières premières.
Un cartel constitue l’une des infractions les plus graves aux règles de concurrence, dans la mesure où il confisque, au profit des auteurs de 1’infraction, le bénéfice que les entreprises en aval de la chaîne de valeur et les consommateurs en l’espèce les clients industriels ou les PME-PMI, voire des collectivités publiques, acheteurs de commodités chimiques sont en droit d’attendre du fonctionnement normal de l’économie. Cette pratique est d’autant plus grave en l’espèce qu’elle a concerné simultanément plusieurs paramètres clés du jeu concurrentiel (prix, clients).
Les sanctions prononcées
L’Autorité a fixé le montant des sanctions en tenant compte de la gravité des faits, de l’importance du dommage causé à l’économie (au-delà du seul secteur couvert par le cartel) et de la situation individuelle des participants (dont certains appartiennent à de grands groupes, de dimension européenne voire mondiale).
Les sanctions sont cependant inférieures à ce qu’elles auraient pu être du fait de la procédure de clémence. En accordant des réductions à ce titre, l’Autorité a tenu compte, notamment, du rang d’arrivée et des éléments apportés par les demandeurs de clémence.
A ce titre, elle a accordé une immunité totale de sanction à Solvadis, 1ère entreprise à avoir révélé l’infraction (elle encourait une sanction de 13 millions d’euros). GEA Group, qui n’était pas partie à la demande de clémence, a en revanche été sanctionnée en tant que société mère de Solvadis au moment des faits.
Brenntag et Univar, 2ème et 3ème demandeur de clémence, ont vu leur sanction réduite respectivement de 25 % et 20 %. En outre, Univar a bénéficié d’une réduction supplémentaire de 15% pour ne pas avoir contesté les griefs. De leur côté, Caldic Est et GEA, qui n’ont également pas contesté les griefs ont obtenu une réduction de sanction de 20%
Concernant Brenntag, l’Autorité a aussi pris en considération sa place centrale dans le cartel : pivot de l’entente, elle en a été l’initiatrice dans trois régions et en a exercé la surveillance.
Les sanctions prononcées :
Solvadis | 0 euros |
GEA Group (société mère de Solvadis au moment des faits) | 9 405 279 euros |
Brenntag, solidairement avec DBML, sa société mère au moment des faits | 47 802 789 euros |
DBML | 5 311 422 euros |
Univar | 15 180 461 euros |
Caldic Est | 1 335 036 euros |
Total | 79 034 987 euros |
L’Autorité a également sanctionné une seconde entente entre Brenntag et Chemco visant, du 31 janvier 2000 à mars 2007, à se répartir les livraisons des commandes de méthanol de la société GKN Driveline et à fixer en commun les prix à l’égard de ce client. Brenntag a obtenu une immunité totale de sanction. DBML devra acquitter une sanction d’un montant de 50 916 euros, en tant que société mère de Brenntag au moment des faits. Chemco devra acquitter une sanction d’un montant de 10 000 euros.